« J’étais petit mais je me souviens de la visite de Gérard Mulliez à la maison, à Landerneau. Il cherchait sa voie, mes parents lui ont donné je crois beaucoup de confiance. Il avait les yeux pétillants ». Gérard Mulliez a 30 ans, il avait roulé jusqu’à Brest pour rencontrer un épicier militant, Édouard Leclerc, engagé dans la défense du pouvoir d’achat des Bretons juste après la guerre.
Gérard raconte, s’adressant malicieusement à Michel-Édouard : « Chez lui, ton père avait demandéà parler au téléphone au général de Gaulle, il voulait impressionner Gérard Mulliez. Il m’a dit ensuite, Mulliez, avec tes yeux bleus, tu vas réussir. Mais te laisse pas rouler par tes fournisseurs et là il me donne ses factures pour que je les recopisse à la main ! C’était fantastique ! La photocopieuse n’avait pas encore été inventée... ».
Un premier magasin aux Hauts-Champs
De retour à Roubaix, Gérard Mulliez ouvre son premier magasin en libre-service dans 600 m2 d’un entrepôt de son père, le patron de Phildar, dans le quartier des Hauts-Champs. Gérard perdra de l’argent pendant quatre ans à Roubaix, Michel-Édouard raconte que ses parents n’en auront pas gagné les 17 premières années.
« C’est grâce à Monoprix et sa guerre des prix qu’on a parlé de mon père, l’enseigne avait cassé les prix pour l’obliger à fermer. Leclerc a été plusieurs fois au bord de la faillite ».
L’enseigne aux 660 magasins et 611 drives vient de passer devant Carrefour pour devenir le premier grand distributeur français. Gérard : « On imagine pas comment ça a été difficile. Edouard avait prêté sa voiture à des journalistes, elle avait été sabotée, il y eut un grave accident. Tube de direction scié. Pendant longtemps les commerçants ont dû se défendre ». Michel-Édouard : «Gérard a su façonner un esprit de conquête au sein de ses équipes et mon père était admiratif, ce qui ne les empêchait pas de se tirer la bourre ». Gérard : « Je l’ai dis à Macron qu’il faut aider le commerce. C’est un élève des Jésuites, comme moi je l’ai été pendant une petite année. Moi, je crois aux Jésuites ».
La salle est aux anges, on pense déjà aux selfies et petites poignées de mains émues. « J’ai 86 ans ce mardi et je crois qu’on peut vivre 120 ans en bonne santé. Je nage une heure et je marche quatre heures par jour. Pas dans les magasins Leclerc mais autour de chez moi ». En marche !
Leclerc au pays des Mulliez
« Le Nord, c’était pour nous une terre de mission », s’amuse aujourd’hui le fils du fondateur du groupement des indépendants, 660 magasins dont 41 hypermarchés et 45 drives dans les Hauts-de-France, 8 000 personnes. L’enseigne est le 5ème employeur salarié privé du Nord-Pas-de-Calais avec 6 250 personnes, Auchan occupant la deuxième place avec 12 500 salariés, un siège international, une centrale d’achat nationale et des hypers partout. Comment se faire une place derrière une famille Mulliez devenue le premier acteur familial de l’économie française ? Leclerc installe son siège régional en 1992 avec sa centrale d’achat Scapartois à Tilloy-les-Mofflaines, près d’Arras. Nore région est alors l’avant dernière dans le classement national de la décentralisation de l’enseigne. C’est dire ! Leclerc dispose de 14 % seulement des parts de marchés dans les Hauts-France, 21 % en France. Moins de 15 %, c’est peu, mais c’est deux fois plus qu’il y a douze ans. Il espère Lillenium à Lille-Sud en 2019 et attend Saint-Pol-sur-Ternoise et Samer près de Boulogne-sur-Mer avant la fin de l’année.
Y. B.